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à Florence, mon amie disparue dans l'absurdité que nous
fabriquons sans y penser...


un jour, je me suis retrouvée au milieu de rien. je dois vous dire que c'est pas facile d'arriver là. j'ai cherché pendant des années à y arriver et enfin en accumulant tous ces petits riens, j'ai fini par en faire tout un monde.
mon père me le répétait sans cesse: tu es une bonne à rien!
j'avais déjà du talent à cet âge, vous imaginez ! je me suis dit que cela devait être un don. et je me suis mise à donner des riens un peu partout, comme ça, pour rien. je suis très généreuse de nature. même mes professeurs m'encourageaient et me forçaient à fournir encore plus d'efforts pour parvenir où je suis. ils me gratifiaient de leurs pensées:

- tu feras jamais rien de bon! il y a rien à faire avec toi!...

comme ils seraient surpris de me voir ici!

-tu ne fais rien?
-je ne fais rien.
-mais, fais quelque chose!
-je fais ce que je sais faire le mieux, rien.
-tant qu'à rien faire, rends-toi utile en faisant la vaisselle!

je faisais alors des riens utiles. comme ça, tout en passant le temps avec des riens utiles, les gens me laissaient enfin vivre sans trop se préoccuper de moi. à force de ne rien laisser paraître, je suis devenue invisible.
sauf bien sûr quand ils n'avaient rien à faire, ils venaient me consulter et surtout m'admirer quand je travaillais sur mes riens! cela les surprenaient toujours de me voir si calme, si sereine devant le tas de riens que je devais entretenir, parce que, voyez vous, chaque chose, chaque évènement, chaque douleur devenaient des riens. le malheur qui s'acharnait sur moi ne pouvait pas si bien tomber! quand il me frappait, je lui disais: c'est rien!
on m'avait appris aussi qu'il y avait pire que mes malheurs, et qu'il y avait des personnes qui souffraient tellement parce qu'elles n'avaient pas comme moi, ce don, d'en faire des riens. et doucement, avec le temps, avec l'acharnement, tout autour de moi, les personnes, les choses, se sont transformées en rien. là, sous mes yeux! c'était fantastique! je pouvais enfin voir le milieu de rien!
je devais m'y rendre à présent. tasser tout ces riens,
traverser des mers remplies de riens. vous ne pouvez pas
savoir combien peut être lourd un rien! j'ai forcé, nagé,
grimpé! et j'y suis arrivée, enfin.

c'est de là que je vous parle, n'est-ce pas merveilleux?
et si un jour, vous pensez à rien...


..

25 août 2000

 

   

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